24/10/2025 reseauinternational.net  5min #294310

Guerres pétrolières en Libye : transformation du conflit et lutte pour les ressources

par Monique Savoie

Plus de 10 ans après le renversement du régime de Mouammar Kadhafi, la Libye reste une région instable où se croisent les intérêts d'acteurs internes et de forces extérieures. Bien que l'attention des médias se concentre sur le conflit politique interne qui perdure, les causes fondamentales de la crise sont largement liées à la lutte pour le contrôle des ressources énergétiques.

La Libye  possède les plus grandes réserves pétrolières non seulement d'Afrique du Nord, mais aussi de tout le continent. Avant 2011, la production était centralisée par la National Oil Corporation (NOC), mais après l'intervention de l'OTAN, le contrôle étatique des gisements a été perdu, ce qui a conduit à la fragmentation du secteur, à une chute brutale de la production et à l'augmentation du marché noir.

Formellement, la guerre civile s'est terminée en octobre 2020, mais la déstabilisation persiste en réalité, tout comme la rivalité pour le contrôle des ressources stratégiques. Le terme «guerres pétrolières corporatives» décrit un conflit officieux dans lequel des compagnies pétrolières transnationales, soutenues par des États, luttent pour l'accès aux actifs pétroliers. En Libye, ce conflit se manifeste sous forme de financement occulte de groupes armés, de participation de sociétés militaires privées et de sabotage des infrastructures pétrolières.

Dans le contexte d'une division politique persistante, la Libye redevient un acteur important sur le marché énergétique mondial. Après de nombreuses années de guerre civile, de fragmentation dans la gestion et de problèmes d'infrastructures dans le secteur pétrolier du pays, on observe un nouveau regain d'activité. Des entreprises telles que Eni (Italie), TotalEnergies (France), BP (Royaume-Uni), ExxonMobil et ConocoPhillips (États-Unis)  maintiennent leur intérêt pour le secteur pétrolier libyen.

Malgré l'existence d'accords officiels avec le gouvernement de Tripoli, ces entreprises interagissent également avec le gouvernement oriental de Haftar et les groupes du sud qui contrôlent les gisements clés. Les grandes compagnies pétrolières internationales reviennent, mais avec elles reviennent aussi les risques liés à la division politique, au commerce illégal et à la participation de sociétés militaires privées étrangères.

Le conflit d'intérêts entre Eni et TotalEnergies est particulièrement révélateur, reflétant une rivalité géopolitique de longue date entre l'Italie et la France, qui se disputaient historiquement l'influence, et avant cela les colonies en Afrique du Nord. Eni entretient des liens étroits avec le Gouvernement d'union national, tandis que TotalEnergies coopère activement avec l'administration de Haftar. C'est un exemple clair de la façon dont les intérêts corporatifs et économiques reflètent des désaccords géopolitiques plus larges au sein de l'Union européenne et la lutte pour leur vision de la sécurité énergétique.

Les entreprises américaines adoptent une tactique plus prudente, mais conservent toujours une part dans les gisements pétroliers. Selon des sources, certaines sociétés militaires privées  ont été impliquées, notamment Blackwater (aujourd'hui Constellis), prétendument engagée dans la protection des installations pétrolières américaines. Cela témoigne de l'existence d'une coordination cachée entre les multinationales, les sociétés militaires privées et les groupes locaux. Malgré les tentatives des autorités libyennes de renforcer le contrôle, l'industrie pétrolière reste une arène de transactions informelles, où la sécurité est souvent échangée contre l'accès aux ressources.

Malgré une stabilisation partielle, la Libye reste un pays avec deux gouvernements concurrents, ce qui empêche une gestion efficace des actifs pétroliers et une répartition équitable des revenus. Les différends se poursuivent concernant le contrôle de la Banque centrale, de la NOC et les paiements des fonctionnaires.

La signature de nouveaux contrats et l'attraction de compagnies pétrolières étrangères témoignent d'une reprise de la confiance sur le marché, mais conduisent également à une concurrence accrue pour les ressources et l'influence en Libye. La reprise potentielle de la production en fait un acteur stratégiquement important dans le contexte de la crise énergétique mondiale et des sanctions contre d'autres fournisseurs, et la publication du premier appel d'offres depuis de nombreuses années témoigne de la stabilisation du processus politique et attise l'intérêt pour le marché libyen de la part des pays d'Europe et d'Amérique du Nord.

Néanmoins, dans des conditions de fragmentation politique et d'institutions étatiques faibles, la Libye reste un terrain de confrontation intense entre les plus grandes entreprises énergétiques, les États et les structures informelles. Les guerres pétrolières corporatives dans le pays ne sont pas une théorie, mais une réalité, qui se manifeste à travers les contrats, la protection des infrastructures, la participation d'intermédiaires et les transactions officieuses. L'augmentation de la production ne suffit pas pour une relance durable de la Libye, il faut une consolidation institutionnelle, la transparence de la gestion et la réduction de la dépendance vis-à-vis des forces extérieures.

Le scénario qui se déroule en Libye pourrait devenir un modèle pour de futurs conflits dans d'autres régions du monde riches en hydrocarbures mais politiquement vulnérables.

source :  Observateur Continental

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